mardi 23 janvier 2024

DERNIERE ETAPE BRESILIENNE

 DERNIERE ETAPE BRESILIENNE


De Jacaré  à Ilha dos Lençois.

Voilà près de huit mois nous arrivions à Jacaré juste après notre transat et ce 9 octobre nous prenons le fleuve vers la sortie.

Beaucoup d'émotion ce jour car nous avons vécu ici beaucoup de choses tellement intenses, rencontré aussi tant de gens en voyage comme nous. Des amitiés se sont tissées et déjà des rencontres futures se profilent à Lençois. 

Nous avons salué hier Nicolas le patron de la marina et Carina son épouse ainsi que les "marineros" si sympathique et serviables. L'émotion était palpable. 

Nous avons adoré cet endroit plein d'humanité et nous nous sommes fondus dans ce petit village de pêcheurs qui nous faisait peur les premiers jours. On nous avait tant mis en garde sur le Brésil que nos débuts furent difficiles et puis nous nous sommes intégrés et avons découvert un peuple généreux et accueillant. 

Le dimanche après-midi nous quittons le ponton avec l'aide des copains pour rejoindre un corps mort sur le fleuve afin d'être libres de partir quand on veut le lendemain. 








Nos haussières sont couvertes de coquillages que Marie s'empresse de nettoyer avec un marteau et une brosse métallique.













Ce lundi matin à l'aube nous libérons Graoully de ses amarres, avec pour nous une petite boule dans le ventre, il faut reprendre nos automatismes de navigation et après 8 mois nous sommes un peu stressés. 

Nous descendons lentement le fleuve Pariba au moteur, la marina disparait au premier virage, une page se tourne ! Nous devons être très vigilants car le fleuve est très fréquenté surtout par les pêcheurs à l'aube. Nous devons zigzaguer entre les filets, chaque passage près des lanchas est accompagné d'un petit signe amical de la main. 

Nous embouquons le chenal de sortie et la houle se fait déjà sentir, Graoully monte et descend les vagues bleutées. Marie ne se sent déjà pas trop bien, elle sait qu'il lui faut deux jours pour s'amariner et la première journée va se faire avec les vagues de travers c'est plutôt désagréable. 

Nous hissons la grand voile et déroulons le génaker dès que nous pouvons prendre notre cap avec le vent de travers. Nous avons près de 800 Milles nautiques à parcourir soit 5 à 6 jours de navigation. 

Nous ne sommes pas loin de notre trace inverse lorsque nous sommes venus de San Fernando de Norhona dernier étape de notre transat. Nous devons naviguer jusqu'à la Punta Santo Cristo avant de pouvoir prendre un cap ouest et avoir le vent et les vagues dans le dos. 

Nous nous éloignons de la côte pour atteindre une profondeur supérieure à 500 mètres car nous savons qu'à ces profondeurs nous n'aurons pas de pêcheurs, filets, casiers à langoustes... 

Marie est très barbouillée mais pas malade, c'est fatiguant pour elle mais malgré tout elle peut tenir ses quarts de nuit. 

Mardi vers 7h nous passons la Punta  et prenons un cap au 285° puis 305° nous avons un vent de 15 à 20 noeuds à 165 degrés. Du coup la navigation devient agréable la houle d'une hauteur de 2,50m de plus nous pousse par l'arrière. 

Marie commence à aller mieux.


Chaque nuit un Noddi brun vient se poser sur l'annexe et décolle au petit jour. On ne le voit pas de la journée mais malgré la distance parcouru la journée par Graoully environ 70 Mn, il nous retrouve et reprend sa place ! Il n'est pas farouche et je peux l'approcher de près pour le photographier.




Nous avons pris nos marques et commençons à retrouver nos habitudes, je lis et écoute des podcasts. 


L
e troisième jour Marie est amarinée, son sourire revient et elle recommence à peindre un peu 


Le jeudi les fonds remontent et c'est le retour des pêcheurs en grand nombre ! Nous dévoyer pour atteindre des fonds supérieurs à 500 mètres nous écarterait trop de notre route, de fait nous devons être encore plus vigilants !

Plusieurs fois c'est à la dernière minute que nous évitons  des filets  qui n'ont pratiquement pas de signalement ! 

Nous sommes même contraints un moment d'allumer les moteurs pour changer de cap en remontant face au vent afin d'éviter  une flottille de quelques navires qui se suivent de très prés...! Trop près même et nous trouvons cela bizarre.. Nous préférons contourner plutôt que de passer entre eux bien que leur vitesse soit très lente, un noeud. Bien nous en a pris car deux bateaux avaient en remorque un autre navire avec une haussière d'une centaine de mètres !!  


Comme si ça ne suffisait pas quelques minutes plus tard en reprenant notre cap nous frôlons l'épave flottante d'un catamaran qui s'est retourné la semaine précédente lors d'une régate ! Nous réalisons que si la flottille de pêche ne nous avait pas fait dévier de notre route nous l'aurions très probablement percutée !! Neptune était de notre coté aujourd'hui !



Nous filmons l'épave et relevons les coordonnées GPS pour les transmettre à Nicolas à la marina pour qu'il puisse prévenir les autorités afin de lancer une alerte aux navires. 

Peu de temps après, nos amis Autrichiens du bateau Vitamine nous contactent car ils ont été informés de notre rencontre avec l'épave. Ils connaissent le propriétaire du bateau qui lors de la régate a été récupéré par les secours en mer mais son navire abandonné. C'est un navigateur allemand qui aimerait bien pouvoir récupérer son bateau si c'est possible mais qui ne savait pas du tout où il dérivait. 

Par le biais de Guerlind et Joseph du bateau "Vitamine" le directeur de la course entre en contact avec nous par whats'app et nous lui communiquons toutes les infos: vidéos,  position et dérive probable. Il vont tenter le lendemain un sauvetage du bateau par remorquage jusque Sao Luis ! 

Pour notre part  la navigation touche à sa fin et le lendemain nous entrons dans la Baïa dos Lençois qui est couleur café au lait tant le courant remue les fonds sableux et peu profonds. Nous sommes deux heures après la basse mer et un courant nous porte pour entrer dans les bras de mer. 

Nous sommes contents d'arriver après 5 jours et demi de navigation avec des moyennes journalières faibles car à part le premier jour où le vent était présent les autres jours étaient plutôt mous. De 196 Mn en 24h le premier jour la moyenne a chuté chaque jour pour atteindre 145 Mn le dernier jour ! 





Nous quittons le delta et remontons un bras qui doit faire 150 mètres de large et soudain au détour d'un virage nous découvrons la grande dune de sable blanc qui marque l'entrée du village dos Lençois.



 Waouh c'est un choc émotionnel pour tous les deux face à tant de beauté ! 

De plus un navire de pêche échoué sur le bas de la dune car la marée n'est pas encore suffisamment haute pour qu'il puisse naviguer, donne au paysage une touche supplémentaire incroyable ! On croirait un bateau de pirates échoué après une tempête !











Nous ancrons le samedi 14 octobre à 16h30 face au village par 9 mètres de fond mais mettons 50 mètres de chaine car le courant de marée est supérieur à 4 noeuds ! L'eau brune file de chaque coté des coques comme si nous étions en navigation, c'est impressionnant. 

Extrait des carnets de voyage de Marie




Le point bleu montre la position de notre mouillage devant le village et les dunes.








Les bateaux la Bohème, Mojito et Vitamine, trois bateaux copains qui sont là depuis une semaine nous confirment que le courant est très fort et la marée basse descend pratiquement de 3 mètres. Le paysage est totalement différent selon qu'on est à marée haute ou à marée basse !

Marée basse

Marée haute

Nous constaterons d'ailleurs que si à marée haute nous sommes à près de 100 mètres de la rive, à marée basse nous ne sommes plus qu'à 25 mètres en passant de 9 mètres à 4 mètres de fond lors des marées à forts coefficients que nous avons eues pendant 4 jours à la pleine lune !  








































Marie profite des balades pour ramasser une multitude de choses diverses et variées desquelles elle réalise une composition éphémère et la prend en photo.











Moi aussi j'y vais de ma petite oeuvre personnelle... Une oeuvre peut-être un plus engagée que celles de Marie ! 


Quant au village il est resté figé dans un autre temps ! Il vit de la pêche au rythme des marées, les gens sont ici aussi d'un accueil incroyable. 



Extraits carnets de voyage de Marie. 












Ici pas de robinets qui coulent sans compter, l'eau se puise dans les dunes au puits. Les hommes remplissent des bidons qu'ils transportent à la main ou sur des perches en bois. 



En arrière plan Graoully au mouillage.













Nous achetons plusieurs fois des crevettes sauvages à Arthur et son papa. On offrira avant notre départ une lampe frontale rechargeable à Arthur car il accompagne son père le soir après l'école.
Il nous salue et nous remercie avec un sourire jusqu'aux oreilles ! 
















Nous resterons ici jusqu'au 31 octobre. Deux semaines absolument superbes, faites de balades à pieds dans les dunes et sur l'estran, et en annexe dans les bras de mer noyant la forêt de mangrove. On ne se lasse pas de voir passer les ibis rouge et autres oiseaux qui viennent se nourrir dans les vasières à marée basse ou dans la mangrove à marée haute.



Extrait carnets de voyage de Marie


















Le fait qu'il n' y ait aucun touriste hormis quelques navigateurs de passage joue beaucoup dans cette authenticité. Laura tient une toute petite épicerie où l'on trouve les choses essentielles mais son mari va sur le continent une fois par semaine en lancha (il faut 4heures pour aller jusqu'à Sao Luis) et on peut donc lui commander quelques fruits et légumes supplémentaires.









Elle a aussi installé une table pour 10 personnes à l'arrière sous une petite tonnelle en palmes et elle concocte de petits plats sur commande : crevettes sauvages (pêchées juste devant Graoully), poissons grillés ou ribbs de zébu. Nous irons quelques fois le soir y manger avec les bateaux copains. 





Ballade en annexe jusqu'au phare désaffecté avec les Mojitos. 













D'ailleurs en parlant des copains La Bohème ( Philippe t Sandrine) et Mojito (Xavier et Anne) ont repris leur route, nous restons avec Vitamine (Guerlind et Joseph) puis quelques jours plus tard arriveront Jumanji (Jean-Claude navigateur solitaire), Bigouden (Jean-Louis et Véronique) qui ne resteront que deux jours puis Red Lion un couple de Luxembourgeois (Eloi et Sandy).

 Il est rare qu'en fin d'après-midi on ne se retrouve pas sur un bateau ou un autre pour boire un verre tous ensemble. 


Les échanges se font en anglais, allemand et français. J'essaie de parler avec Guerlind et joseph en Allemand ce qui me fait travailler cette langue que je n'ai pas pratiqué depuis bien longtemps. 

Il m'est plus facile de comprendre que de parler. Guerlind elle, apprend le Français du coup elle me parle Français et je réponds en Allemand...

Aller à terre est compliqué à cause des marées car si l'on reste quelques heures à terre on peut retrouver son annexe flottant à 50 mètres du rivage car la marée est montante (nage obligatoire) ou bien pire retrouver son annexe à 50 mètres du rivage enfoncée dans la vase quand la marée est descendante !! La tirer jusqu'à l'eau est impossible pour nous sans l'aide de deux copains au moins tant notre annexe est lourde ! Là aussi une grande solidarité existe entre navigateurs et c'est très rassurant!






Pendant ce séjour à Lençois nous apprenons le décès de Philippe Ganier ! Philippe avait appris qu'il était atteint d'un cancer du pancréas en juillet et le voila déjà parti moins de trois mois après ! Il devait nous rejoindre en février en Martinique pour passer une semaine à bord de Graoully. 

Je garderai de lui cette belle fraternité qui l'habitait inlassablement, et conserverai très précieusement dans mon coeur cette semaine passée en Corse à naviguer le long des côtes et plus particulièrement cette nuit au fond d'une crique à discourir sur les étoiles et le sens de la vie après avoir écouté "Vénus" de Bashung. 



Dernier envoi de Philippe quelques semaines avant son décès . Il était très fatigué et amaigri mais continuait de nous suivre. Mon dernier appel fut très émouvant et difficile car comment dialoguer avec une personne en fin de vie lorsqu'on est soi même heureux, en voyage à l'autre bout du monde avec des projets plein la tête !... Mais il me rassurait en me disant que notre voyage lui faisait un bien fou et lui permettait de penser à autre chose qu'à la maladie qui le rongeait. 

Après le décès de Philippe, un ami très cher me disait que perdre un proche c'est perdre un morceau de soi même... c'est terriblement vrai !! 



Photo aérienne du village prise avec notre drone.

 


Photo aérienne de Graoully au mouillage du Lençois. En arrière plan Vitamine, Jumanji et Red lion les bateaux copains. 

 

Le mardi 31 vient finir le mois d'octobre et nous décidons de lever l'ancre à l'aube pour rejoindre la Guyane, une navigation qui devrait durer 4 jours si le vent est de la partie comme annoncé mais nous allons traverser de nouveau l'équateur et les vents y sont souvent erratiques, très capricieux ! Nous verrons bien ...


Extrait carnets de voyage de Marie (avec l'aimable autorisation de l'auteur !)